Le blé dur pédale dans la semoule
Malgré le plan de relance, de nombreux producteurs se détournent du blé dur. En souffrance, la filière veut rebondir grâce à l'innovation et la contractualisation.
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Il était difficile d'être optimiste lors de la traditionnelle Journée filière blé dur, organisée par Arvalis le 5 février à Tours. Frédéric Gond, président du comité technique blé dur de la région Centre, en est conscient : « La filière a vécu des cataclysmes ces trois dernières années ». 2016 dans le Centre, 2017 et ses soucis de qualité technologique, 2018 et la moisson désastreuse dans le Sud. Laquelle a d'ailleurs sans doute précipité le rapprochement entre CAPL, Céréalis et peut-être Terroirs du sud, dans le Sud-Est.
Qui plus est, et c'est sûrement le signal le plus négatif, les prix sont déprimés depuis l'été 2018. « L'écart de prix entre blés dur et tendre est faible, 20 €/t, alors qu'il faudrait 60 à 80 €/t, calcule Michel Bonnefoy, ingénieur régional chez Arvalis. Sur une période aussi longue, cela ne s'est pas vu depuis longtemps. » En conséquence, le recul de la sole s'annonce alarmant pour la récolte à venir, - 25 % au niveau national selon Arvalis (contre - 8,6 % pour Agreste !), et désavoue le plan de relance de la filière, initié en 2015, qui visait 3 à 3,5 Mt de production à horizon 2020 ou 2025 (contre 1,8 en 2018). « Il faudrait plutôt un plan de soutien à la sortie de crise », évoque Antoine Pissier (Ets Pissier). Frédéric Gond se veut positif : « Même si cela ne se traduit pas par une hausse des surfaces, ce plan de relance est important, il se manifeste par l'expression de nouveaux besoins, et nos sélectionneurs l'ont entendu. » Pourtant, les industriels s'inquiètent de l'absence d'inscription de nouvelles variétés de blé dur au CTPS en 2018.
Face à cette baisse des surfaces « astronomique », Antoine Pissier milite pour une contractualisation afin de « détacher le prix de la logistique, de l'opérationnel et de sécuriser les ventes du producteur, les achats de l'OS et l'approvisionnement de l'industriel ». Mais une contractualisation partielle, afin de pouvoir saisir aussi des opportunités de marché. Frédéric Gond applaudit mais se demande « comment on fait quand le blé n'est pas commercialisable en alimentation humaine », par exemple en région Centre il y a deux ans ou bien cette année dans le Sud. « On est très ouvert pour en discuter avec nos partenaires français, informe le semoulier luxembourgeois Jean Muller (Moulins de Kleinbettingen). Il y a un bon climat au niveau de la demande des consommateurs pour relancer ce sujet qui, jusque-là, n'a pas abouti. » Et d'argumenter : « Quand je suis arrivé dans le métier en 2011, on vendait une semoule à un client, voire une même semoule pour plusieurs clients. Aujourd'hui, on a le même client qui demande cinq à six semoules différentes. »
« Il faut qu'on montre que l'on est capable de faire beaucoup mieux, faire du blé dur la vitrine d'une filière française d'excellence », appuie Jean-François Loiseau, président d'Intercéréales et d'Axéréal. Cela peut être du blé tracé, du bio, du « sans résidu », du local, du made in France... alors que 60 % des pâtes consommées en France sont importées ! « Il y a un tsunami sur le bio et la naturalité, on voit poindre des attentes très fortes sur le local, sur des produits davantage valorisés, abonde Marie-Catherine Aune, directrice marketing du groupe Panzani. Le segment "premium" se développe avec des pâtes à 1,60 € le paquet. » À comparer avec une moyenne de 0,62 € aujourd'hui, alors qu'il valait 0,79 € en 2006, soit un recul de 18 % du prix des marques nationales en cinq ans, dû à la guerre que se livrent les enseignes de la grande distribution. Face à cela, Panzani cherche à « porter un message de valorisation », en lançant des pâtes bio, zéro résidu de pesticides, ou dites « moules en bronze » (qui apportent davantage de rugosité). L'industriel s'engage par ailleurs, d'ici 2025, à un approvisionnement 100 % blé français et sans résidus de pesticides. « C'est de plus en plus prégnant dans nos échanges commerciaux », témoigne ainsi Édouard Prevosteau, directeur opérationnel de Terris union. Encore faudra-t-il pouvoir gérer en même temps le zéro résidu et le zéro insecte vivant.
Renaud Fourreaux
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